Bible & Qabalah

LE MESSIE À LA CROISÉE DES CHEMINS - 1

PRÉLIMINAIRES

Je vais tout de suite vous mettre à l'aise, je n'ai pas de date d'arrivée d'un messie à vous annoncer…. Dans ma tradition, il est interdit d'annoncer des dates de venue d'un messie, pour ne pas décevoir le croyant, en cas d'échec. On considère que l'espoir déçu est plus dangereux que l'attente frustrée. Mais pourtant à chaque génération, une date probable a toujours été calculée et il y a toujours eu un messie potentiel.

Mais d'abord, pourquoi un livre sur les messies?

A la demande de quelques amis, dans un cours que je donne, on a travaillé sur l'âme selon la qabalah et on est arrivé à parler de l'âme du messie, sujet fort ardu, que j'ai été amené à analyser. De fil en aiguille, on a élargi le sujet vers les messies selon la qabalah, puis dans le judaïsme, puis dans les trois monothéismes. Puis l'an 2000 était à nos portes… Puis une enquête téléphonique en France a confirmé qu'une partie non négligeable de la population adulte souhaitait en savoir plus que les clichés reçus, soit 7% des interviewés.

Quelles ont été les dernières manifestations messianiques?

Dans le judaïsme, seuls les mouvements h'assidiques, en pleine expansion, continuent à engendrer encore des prétentions ou des annonces messianiques. Ainsi le mouvement Loubavitch H'abad a connu un grand développement depuis la mort du Rav Ménahem Shneerson en 1994, et ceci malgré les divisions internes qui ont secoué le mouvement. On compte aujourd'hui plus de 150 000 fidèles dans le monde et 250 000 sympathisants. Les spécialistes appréhendent un contrecoup tardif du traumatisme provoqué par la mort du Rabbi, considéré comme le Messie. En effet, aucun Tsadiq ou Juste n'émergeant pour le remplacer, une partie des fidèles continue à le vénérer comme Messie et parle de son "retour", conception messianique très éloignée du judaïsme! En effet selon la tradition juive, tout prétendant messianique qui disparaît avant la Rédemption du monde ne peut être considéré comme le Messie issu de David. Il est probable que les dirigeants de H'abad n'arrivent pas à contenir toutes leurs troupes. Ils sont mis devant l'alternative de taire leurs dissensions et de choisir un successeur au rabbi ou de laisser filer une situation. Des fidèles ont déjà remplacé le "Allo!" du téléphone par "Yéh'i" ou "il vivra", précisant que le rabbi n'était qu'occulté. Certains vont même plus loin en affirmant qu'il est devenu Dieu! Vous voyez jusqu'où peut aller le sacrilège pour des esprits faibles ou mal préparés. Aux dernières nouvelles, sauf pour cette minorité obstinée, la notion de messie issu du mouvement H'abad est en mise en sourdine et le slogan "mashyah' ba" a pratiquement disparu.

Chez les Bratslaw, on a cru percevoir une vocation messianique chez un certain Hubert, chauffeur livreur immigré de France, sous prétexte qu'il a des dons de télépathie…

En chrétienté, la Parousie n'est pas oubliée. Il s'agit du retour de Jésus qui doit sauver le monde pour une période de mille ans avant le Jugement dernier. Cette notion est tue par l'église catholique mais elle est toujours à la mode dans certaines églises évangéliques. Elle trouve toujours un point culminant avant l'occurrence d'un millénaire.

A titre d'exemple, un personnage pittoresque déambulait dans les rues de Jérusalem depuis plus de quinze ans. Ancien entrepreneur en bâtiment de Californie, le "prophète Elie" cachait soigneusement sa véritable identité. Grand et mince, la barbe et les boucles fournies, il se proclamait l'un des deux "Témoins" du retour de Jésus, annoncés par l'Apocalypse. Il prétendait avoir annoncé une longue sécheresse dans le pays, due à la rupture de l'alliance avec Dieu, Israël ayant cédé des territoires en Judée et Samarie. Il prédisait le retour de l'eau qui jaillirait du Mont du Temple, dégagé des mosquées qui y sont construites…En 1999, il a été soumis à un examen psychiatrique et expulsé. Ne voulant pas prendre de risque inutile, la police israélienne a expulsé de nombreux autres illuminés.

Dans un autre registre, Harold Stephens est un magnat du pétrole du Texas, chrétien évangélique "born again" aussi, après avoir été un alcoolique notoire…! Depuis dix-sept ans, il a investi plusieurs dizaines de millions de dollars, explorant des terrains au sud-ouest de la Mer Morte. Il est persuadé que la découverte imminente d'un énorme gisement de pétrole inaugurera une ère messianique dans la région. Ce nouveau trésor déclenchera aussi une invasion de voisins du Nord, prévue par les prophètes, convoitant l'eldorado noir et qui se concrétisera par la bataille d'"Armageddon". Cette richesse ouvrirait la voie à la construction du troisième Temple et à la venue, ou au retour du Messie. Harold Stephens est un croyant qui a une société cotée en bourse appelée "ness" ou miracle. Ce qui peut paraître surprenant, c'est qu'il ait réussi à convaincre et à entraîner avec lui des géologues et des experts sérieux ainsi que des investisseurs et des pétroliers locaux!

En Islam, le messie est un imam occulté qui revient en "mahdi", ou initié. Suite à des dissensions lors de la succession de Mahomet, les tenants de son gendre et successeur désigné A'li étaient systématiquement éliminés par la lignée régulière des khalifes sunnites. Ne parvenant que rarement à prendre le pouvoir, ces croyants, appelés shiites, pensaient que leur chef et guide spirituel ou imam s'était caché pour s'instruire et reviendrait en temps opportun quand il serait totalement initié. D'un autre côté, ce retour de l'imam est considéré comme une hérésie par l'islam régulier sunnite.

En 1979, Moh'amed A'bdullah Al Ou'taybi se déclare Mahdi, réapparaissant pour rétablir le Royaume de Dieu et venger A'li à la Mecque, dans l'antre de la tribu Qouraysh qui l'avait assassiné. Il occupe avec ses fidèles les lieux saints de la Mecque pendant plusieurs jours jusqu'à ce que l'armée ait raison de lui. Il est décapité sur la place publique. C'est la dernière apparition officielle d'un messie shii'te.

Pourtant en 1999, un Mahdi en herbe, un Tanzanien de cinq ans, doué et génial, envoûte des milliers d'africains. Cheikh Sharifou serait né en psalmodiant "il n'y a pas d'autre Dieu qu'Allah!" et, à quatre mois il citait déjà le Coran! Aujourd'hui, il prêche dans quatorze pays devant des foules en extase, déchaînant l'enthousiasme, voire l'hystérie, en récitant de longs passages du Coran. Il est reçu par de hauts dignitaires et il passe devant les télévisions locales. Certains parlent de l'arnaque du siècle, d'autres sont persuadés d'avoir découvert le Mahdi occulté…

De quoi s'agit-il?

Je voudrais d'abord ouvrir une parenthèse pour donner une illustration du fonctionnement du cerveau humain en général. Diverses expériences de sectes ont été étudiées aux Etats-Unis. Quand une date est fixée pour l'occurrence d'un événement et quand la date fixée passe sans la réalisation de l'événement, une minorité d'adeptes quitte la secte n'ayant plus la foi. Mais la grande majorité montre un zèle encore plus fervent pour expliquer la non occurrence de l'événement. Elle commence alors à prêcher la foi à l'extérieur, en insistant sur les raisons qui ont fait que l'événement attendu n'a pas eu lieu. Une façon de se convaincre qu'elle ne s'est pas leurrée. Ajoutez à cela qu'un mensonge cent fois répété devient une vérité. Ceci vous permet de réfléchir sur le phénomène sectaire qui s'est développé il y a 2000 ans.

Des spécialistes se sont penchés sur le phénomène messianique et ont élaboré de nombreux ouvrages et autant de théories, qu'ils se sont empressés aussitôt de réfuter. Même Freud a essayé d'échafauder une théorie qui ne tient pas la route. Récemment, j'ai lu un article parlant d'un congrès de psychiatres qui auraient déceler une épilepsie particulière génératrice de mysticisme. Mais le nombre de sujets examinés n'était pas significatif…Bien sûr, Gershom Sholem a émis l'hypothèse que Shabetay Zvi aurait été maniaco-dépressif; soit! En fait le phénomène messianique est aléatoire et non prévisible et sur la soixantaine de cas que j'ai étudiés, on ne peut tirer aucune théorie ni faire des extrapolations.

Le mieux c'est d'aller aux sources du mot en hébreu, puis de se laisser guider par le cours des faits historiques.

LE MESSIE BIBLIQUE

Mashiah' en hébreu est l'oint, de la racine mashah' qui signifie enduire d'huile d'olive, oindre, mais aussi mesurer avec un cordeau, ce qui implique, dans les deux sens du mot, un mouvement de va et vient, sans doute pour trouver la bonne mesure. On avait l'habitude de consacrer par l'huile des objets, stèle, bouclier, puis des hommes, prêtres, prophètes et surtout des rois. C'était une manière de relier l'objet ou l'homme consacré à une instance supérieure. Comme l'onction était faite avec de l'huile shemen, mais pas n'importe laquelle, l'huile d'olive, zayit, qui signifie "ceci est le signe", il faut aller un peu plus loin sur le plan de l'analyse sémiologique. La friction de la tête avec "shemen" facilite une relation entre le divin et les hommes, par l'intermédiaire de celui qui est frictionné. Celui-ci reçoit une lumière ou une connaissance qu'il transmet (c'est le noun de shemen), et il doit assurer un équilibre difficile entre le feu de la rigueur (c'est le shin de shemen) et l'eau de la miséricorde (c'est le mém de shemen). Un chef consacré par l'huile doit maintenir cet équilibre précaire entre l'eau et le feu. Il doit être un peu géomètre.

Mashiah' peut se lire aussi "shem h'ay", le nom vivant, shem, le nom est une association entre le feu et l'eau qui est vivante quand elle est équilibrée. Sur le plan de la guématria, Mashiah' est aussi équivalent à serpent, et si on ajoute l'unité on obtient Satan! Les deux notions sont proches. On peut donc comprendre que s'il y a deséquilibre entre le feu et l'eau ou s'il y a exagération d'un côté comme de l'autre, on bascule dans le domaine démoniaque. Il en est de même si on considère "mashyah" comme l'unité, ou comme D.

La Bible

À aucun moment l'Écriture ne mentionne de "messie eschatologique" et elle est d'une grande clarté sur ce sujet. D'un côté "celui qui sauve" est D., et exceptionnellement un envoyé, Moïse ou un ange. D'un autre côté, celui qui est oint ou "mashiah'" est généralement un roi. D'inspiration divine, le roi-oint doit mener son peuple à la paix, même s'il est obligé de passer par la guerre. Le prototype de ce roi est David.

La notion de messie qui rétablit l'ordre du passé se concrétise avec les problèmes que rencontre Israël lors du déclin de la royauté: dissensions internes, idolâtrie et invasion par les nations voisines. Les premiers messies sont ainsi des restaurateurs. Le roi Ezéchias restaure le culte de Yahvé (-7/-8e s) et Zéroubabel restaure les bases du Temple (-6e s).

Mais de plus en plus le royaume judéen se délite et le rétablissement du pays tel qu'il était au temps de David et de Salomon devient de plus en plus difficile, sinon impossible. Les prophètes échafaudent alors pendant quatre siècles le schéma d'une "ère messianique" qui se caractérise par un programme précis que je vous livrerai à la fin de cet exposé. Cette ère précéderait ou coïnciderait avec la fin des temps. On a remplacé petit à petit une nostalgie du passé par une utopie apparemment irréelle ou irréalisable.

Les écrits hors Bible

En dehors d'une vision de Yéhouda Hamaccabi (Juda Macchabée), les écrits juifs non insérés dans le canon défini à Yavneh en 90 ne contiennent aucune mention de Messie. D'un autre côté, les écrits esséniens ou d'inspiration essénienne, souvent repris par des rédacteurs chrétiens, abondent en terminologie "messianique", insistant sur la notion de Messie sacerdotal et introduisant des notions nouvelles telles que Fils de l'homme, Fils de D., sauveur des nations ou du monde, Élu de D. avec des accents de plus en plus christiques. Ainsi une confusion de plus en plus grande se précise entre D. sauveur des hommes et le bras humain "oint" qui doit réaliser sur terre la volonté de D. Le divin se rapproche de l'humain et se confond de plus en plus avec lui.

Depuis Yéhouda Hamaccabi, héros national de type messianique, la société judéenne ne cesse de se décomposer jusqu'à sa quasi-disparition, à la destruction du 2ème Temple. Les nombreuses rébellions contre Rome qui possède la plus forte armée du monde de l'époque se sont toutes terminées par des échecs et des drames, entre –2e s & +2e s. Elles ont néanmoins réussi à faire émerger de l'ombre près d'une quinzaine de héros charismatiques, combattants ou prophètes, dont Jésus. Confrontés soit à l'incurie d'un pouvoir qui ne pouvait pas rétablir la souveraineté nationale, soit à la cruauté de l'occupant romain qui ne voulait pas respecter la dignité d'un peuple, tous ces héros se sont considérés comme des élus "oints". Ils ont tous échoué, même Jésus, dont le succès ne s'est concrétisé que longtemps après sa mort. Jésus est le résultat d'une conjonction de plusieurs siècles de prophéties et d'une situation politique, sociale et religieuse dégradée, se distinguant par l'absence de chefs crédibles, tant sur le plan temporel que spirituel. Jésus est aussi le résultat à la fois de la destruction du sanctuaire du D. d'Israël qui n'est pas venu sauver son peuple en détresse et du développement de doctrines nouvelles sur le devenir de l'âme et du corps après la mort, dans le cadre de sectes foisonnantes.

La chrétienté est née sur les cendres de la société judéenne. Elle a choisi comme héros symbolique le prophète qui se battait avec des paroles et dont le profil était le plus proche du Juste d'Isaïe. Mais après l'extermination des Judéens par les Romains, après l'esclavage vient un très long exil qui a forgé un nouveau judaïsme et de nouveaux messies.

C'est à partir de ce moment que les notions de messie ont divergé entre les deux croyances.

Fin de la 1ère partie

2ème partie "Judaïsme et Christianisme"

Albert SOUED- janvier 2001