LA COLOMBE AU FIL DE L'ONDE
Ou le dilemme Sion-Exil
Préambule méthodologique
Nous allons appliquer nos méthodes d'investigation habituelles afin de cerner le dilemme Sion-Exil. Ces méthodes n'ont rien d'original et sont tirées des règles d'herméneutique de la Tradition hébraïque. Nous avons privilégié l'étymologie, la sémiologie (analyse symbolique du mot hébreu), la guématrie (valeur numérique du mot et équivalents numériques), la première occurrence du mot dans la Bible, et enfin l'analogie entre versets bibliques.
"Tsion" est un nom commun signifiant menhir, monument, monticule de pierres, comme signe d'une sépulture ou d'un événement qu'on commémore. C'est aussi un nom propre lié à Jérusalem et au roi David.
En sémiologie, on peut séparer la première lettre "Tsadé" de "ion" yod/waw/noun, ce qui donne sur le plan symbolique une construction pour "saisir la colombe", un colombier. On peut aussi opposer les deux premières lettres à la dernière "noun", on a alors "tsay" la jungle, "waw", opposée à, et "noun", la connaissance du divin.
La première occurrence biblique concerne la capture par le roi David d'une citadelle prise aux Jébuséens à Jérusalem. 2 Samuel 5/7: "Mais David s'empara de la forteresse de Sion, qui est la cité de David"
Le mot "Tsion" est cité 154 fois dans la Bible, principalement dans les Psaumes où on parle d'un "retour à Sion", et surtout de "Bat-Sion", où "bat", la fille est le symbole du foyer, de la maison, de l'intériorité.
Avec ces éléments on peut imaginer ce que fut Sion il y a 3000 ans. Située en altitude, aux limites ouest de Jérusalem, une éminence ayant la forme conique d'un amas de pierres où des colombes viennent se réfugier, à certaines époques de l'année.
En effet sur le plan archéologique on a découvert dans la région des colombiers-pigeonniers, à l'image de ceux qu'on trouve encore dans le delta du Nil. De forme tronconique, ces édifices garnis de cavités étaient de véritables exploitations de colombes-pigeons, pour leur chair, leurs plumes, leur fiente et la transmission de messages.
Le "retour à Sion" est à l'image de ces colombes qui après avoir passé l'été à errer en Europe (ou en Grèce qui s'appelle ion) reviennent au bercail en automne, perché sur les murailles occidentales de la Cité de David, Jérusalem.
L'exil se dit "galout" et "golah". Les deux mots proviennent de la racine à deux lettres "gal", l'onde, la vague, mais aussi "un monticule de pierres", comme signe ou signal.
Le mot "gal" apparaît 34 fois dans la Bible et la 1ère occurrence est dans Genèse 31/46-52, là où Jacob et son beau-père Laban se séparent après avoir dressé un "monticule de pierres", comme témoignage à la fois de leur "séparation" (deux mentalités différentes) et de "paix". Chacun des protagonistes nomme différemment ce monument, Laban l'appelle en araméen "yigar shahdouta" (lieu du témoignage) et Jacob l'appelle en hébreu "gal-é'd", soit le monticule du témoignage. L'endroit est nommé "mah'anayim", les deux camps, comme si les deux hommes opposés avaient érigé une barrière "de paix" séparant leurs camps respectifs.
Sur le plan sémiologique, "gal" ghimel/lamed est l'image d'un mouvement (ghimel) d'un bâton de berger ou aiguillon de bœuf (lamed) pour rameuter le troupeau en un double mouvement de gauche à droite et de droite à gauche, un mouvement ondulatoire. "Gal" est aussi, on l'a vu, un monticule de pierres, et "Gol" est un récipient (1).
Le verbe "galah" issu de "gal" a le sens de découvrir, révéler, se faire connaître, devenir public, apparaître, et aussi "émigrer". D'où 2 substantifs ayant à peu près le même sens d'exil, golah et galout, ce dernier ayant le sens supplémentaire de "bannissement et de captivité". Golah semble un exil volontaire, galout un exil forcé.
La 1ère occurrence biblique de la notion d'exil apparaît dans 2 Samuel 15/19: "Le roi (David) dit à Ittaï le Ghitti "pourquoi viens-tu toi aussi, avec nous? Rebrousse chemin et demeure avec le roi (Absalon), car tu es étranger. Tu peux d'ailleurs émigrer dans ton propre pays". Lors du conflit qui opposait David à son fils Absalon, le dénommé Ittaï le Guitti s'est mis sous la bannière de David pour combattre Absalon.
Les mots "galout" et "golah" apparaissent pour la 1ère fois dans le second livre des Rois, au moment de la conquête d'Israël par les Assyriens. Puis ces mots sont repris souvent par le prophète Amos qui "prophétise contre les nations qui ont exilé Israël puis les Judéens, Juda aura sa revanche sur ces mêmes nations qui seront elles-mêmes exilées".
Parmi les équivalents guématriques de golah on trouve "h'ol", sable, profane, "dam", sang. "Shoftim" ou jugement est équivalent à galout.
L'exil entraîne la dispersion, la souffrance et l'assimilation parmi les nations. Mais c'est peut-être un mal nécessaire, car il fait apparaître, "découvrir" la valeur d'Israël parmi les nations. Le retour au foyer est encore plus nécessaire que la galout, car il permet un épanouissement intérieur et l'évolution de la "jungle" vers "la connaissance de D.". Tsion a comme équivalent "naoul", scellé, ce qui signifie que l'enfermement est utile pour se retrouver, mais il peut provoquer la jalousie des autres, car "qine-ah" est aussi un équivalent de Tsion.
Aujourd'hui avec l'avion et les moyens de communication, l'exil physique a considérablement diminué. À l'opposé l'exil de l'âme et du cœur par rapport à Sion semble se développer, mais on peut espérer que l'instinct de la colombe lui fera toujours retrouver le chemin de Sion.
(1) d'où le mot "galgolet" ou crâne en hébreu et peut-être "gargoulette", récipient dont le profil est à la fois convexe (gal) et concave (gol)
Albert Soued - 1er mars 2005