LES SYMBOLES DANS LA BIBLE

L'Arbre Dans La Bible

Albert SOUED - Octobre 1992

Voir aussi "la symbolique dans la Bible" & des exemples d'analyse symbolique

Retour à Cours et Conférences, au menu principal

 

"Un jour les arbres se mirent en chemin

pour oindre un roi qui régnerait sur eux.

Ils dirent à l'olivier: "Sois notre roi!"

L'olivier leur répondit:

"Faudra-t-il que je renonce à mon huile,

qui rend honneur aux dieux et aux hommes,

pour aller me balancer au-dessus des arbres?"

Alors les arbres dirent au figuier:

"Viens, toi, sois notre roi!"

Le figuier leur répondit:

Faudra-t-il que je renonce à ma douceur

et à mon excellent fruit,

pour me fatiguer à gouverner les arbres?

Les arbres dirent alors à la vigne:

"Viens, toi, sois notre roi!"

La vigne leur répondit:

"Faudra-t-il que je renonce à mon vin,

qui réjouit les dieux et les hommes,

pour aller me balancer au-dessus des arbres?"

Tous les arbres dirent alors au buisson d'épines:

"Viens, toi, sois notre roi!"

Et le buisson d'épines répondit aux arbres:

"Si c'est de bonne foi que vous m'élisez pour régner sur vous

venez vous abriter sous mon ombre!

Sinon, qu'un feu sorte du buisson d'épines

et qu'il dévore les cèdres du Liban!.."

Tirée du livre des Juges, chapitre 9, cette histoire est éminemment symbolique: pourtant, à première vue et d'après une lecture immédiate du texte biblique, il s'agirait d'un petit chef autoritaire cherchant à profiter de l'indolence ou de l'irresponsabilité de ses congénères, pour devenir leur roi. D'après les nombreux exégètes il s'agirait d'une réflexion métaphorique, mais toujours actuelle, sur la pureté ou l'impureté du pouvoir. Mais le texte va plus loin comme on le verra à la fin de cet exposé.

Lors de mes recherches sur les symboles tirés de la Bible, je me suis rendu compte qu'il y avait un symbole particulier qui se distinguait et qui constituait en quelque sorte la moelle épinière de l'Ecriture, l'Arbre. Les raisons ne me sont pas apparues tout de suite.

Je n'ai pas l'intention d'être exhaustif et je me limiterai à un petit nombre d'arbres et d'arbustes qui pourraient éclairer un cheminement. L'arbre apparaît dès les premiers paragraphes du récit de la création puisque la Genèse parle de deux arbres au milieu du jardin, l'arbre de la connaissance du bien et du mal et l'arbre de vie. Avant d'arriver à ces deux arbres paradisiaques, je vais d'abord analyser quelques arbres plus communs.

LE FAISCEAU ET LE CÉDRAT

Lors d'une fête biblique, appelée "fête des cabanes ou fête des loges", il est d'usage de construire une cabane de branchages d'arbres bien précis, le saule, le palmier, l'arbre dit touffu, le myrte, l'olivier et l'arbre à huile assimilé au ricin; il est de tradition aussi de prendre ses repas dans cette cabane pendant sept jours. Lors de la même fête, il est d'usage d'associer des branchages de saule, de palmier et d'arbre touffu pour constituer un faisceau qui, joint à un fruit, le cédrat, gros citron odoriférant, est agité dans l'air, de haut en bas et de bas en haut, dans les six directions de l'espace, les quatre points cardinaux, le zénith et le nadir. Il existe de nombreuses explications à ces objets et à ce rituel symbolique. Le cédrat est un centre en mouvement, un coeur qui vibre. Le faisceau de trois branches accompagne ce coeur, comme le pique accompagne le coeur, dans les jeux de cartes. D'une façon schématique, il s'agit du mouvement simultané d'une droite et d'un cercle, de l'allongé et de l'arrondi. Par ailleurs, le balancement des deux objets-symboles dans les six directions de l'espace est une façon de mimer l'acte de la création de l'univers.

En effet, les branches de saule et de palmier sont liées par une spirale de l'arbre dit touffu, qui a le sens de relier et qui est assimilé au myrte. Or le saule et le palmier sont des arbres dits dioïques, ce qui signifie qu'ils ne peuvent donner des fruits que si, dans le même verger, il y a les deux espèces, mâle et femelle. Quand on a visité des palmeraies, on sait que pour avoir des dattes, il faut qu'un dattier-mâle qui se reconnaît à ses branches se dressant vers le haut, côtoie un dattier-femelle dont les branches retombent tendrement vers le bas. Par ailleurs, le cédrat qui donne d'excellentes confitures, est perçu dans le bassin méditerranéen, et en Corse, en particulier, comme un fruit nuptial.

Ainsi l'association du faisceau et du cédrat est un acte mimant une procréation, à travers des symboles d'union et de fécondation. Or celle-ci n'est possible que s'il pleut. D'où une explication un peu païenne qui associerait la gestuelle de Souccot à une invocation pour obtenir la pluie. Il y a d'autre explications plus éthérées liées à l'arbre de vie ou au nom divin, qui sont développées par ailleurs.

LE PALMIER ET L'OLIVIER

Ceci ne nous explique pas pourquoi il faut des branches de l'arbre à huile pour fabriquer une cabane. Avant de parler de l'olivier, je vais développer un peu plus le palmier, car ces deux arbres sont liés d'une certaine manière.

Le palmier se dit Tamar, nom de plusieurs femmes bibliques et qui signifie beau, svelte, élancé, mais aussi "le signe de l'amer". On peut comprendre ce qu'est l'amertume tapie dans la beauté. On sait aussi que pour survivre le palmier va chercher l'eau en profondeur ou se contente d'eaux saumâtres ou amères pour donner des fruits d'une grande douceur. De l'amertume naît la douceur. Toutes les histoires des Tamar bibliques sont dramatiques et l'enseignement qu'on en tire est que la justice rendue d'une manière ou d'une autre laisse un goût amer. Le symbole du palmier est celui de la justice rendue par la loi. Il est l'arbre du côté de la rigueur. Quand on veut parler de la justice du coeur, on choisit un autre arbre, l'olivier.

La symbolique de l'olivier réside dans l'huile qu'on tire de l'olive. Par la transformation des produits de la nature avec mesure, l'homme participe d'une certaine manière à la création. L'olive est un produit de la nature et l'huile, obtenue par concassage de l'olive, est le résultat d'une transforma-tion par l'homme, d'une évolution culturelle. L'huile a trois usages principaux: elle donne la lumière, elle lubrifie et elle peut être absorbée. La lumière émise par l'huile est chaude et permet de communiquer comme le lubrifiant facilite la relation. C'est la raison pour laquelle certains élus, notamment les rois sont oints par l'huile: ces élus sont, d'une part les intermédiaires de la relation entre l'humain et le divin, d'autre part, ils sont la courroie de transmission de la justice divine.

A travers son huile, l'olivier charrie le message de lumière, de justice et de miséricorde, de clarté intérieure et de bonnes oeuvres. Il est le symbole par excellence, puisqu'en hébreu il est appelé comme son huile "zayit', c'est à dire "zéh taw", ou "ceci est le signe".

Constituée de branches de saule, de palmier, d'arbre touffu et d'arbre à huile, la cabane ou la loge est ainsi un endroit du rapprochement entre des hommes et un lieu de fécondation spirituelle.

D'une façon générale, l'arbre est l'image du Juste qui témoigne: il se passe tellement de choses à l'ombre d'un arbre; la justice y est rendue, les nouvelles y circulent, les langues s'y délient, on communique...l'arbre est la source et l'inspiration du Juste, mais, comme toujours il y a le revers de la médaille: sous l'ombrage et la protection de l'arbre, on s'adonne aussi à la prostitution et à l'idolâtrie, parce qu'on assimile l'arbre au divin.

L'ACACIA

L'arbre est un pôle, l'axe du monde: par ses racines, il fait le lien avec le monde souterrain; par ses branches, il respire l'air d'en Haut. L'arbre nourrit, habille et abrite l'homme. Il répond à tous ses besoins, même spirituels puisque un chêne, un térébinthe ou d'autres arbres ont longtemps été des lieux sacrés. Entre implorer un dieu sous un arbre ou assimiler l'arbre à un dieu, la frontière est mince. Or l'Ecriture parle de débauche du peuple d'Israël à Moab, dans les bois de Shithim ou d'acacias.

L'acacia est un arbre dur et résistant ayant des épines acérées qui a servi à la construction de l'arche et du mobilier de la Tente du Rendez Vous dans le désert du Sinaï et ceux du Temple de Jérusalem. En bois d'acacia, l'arche de la Loi était recouverte d'or, à l'intérieur et à l'extérieur. Pourquoi ? Le sens étymologique du mot "shithah" signifierait "le feu de la connaissance cachée ". L'or pourrait signifier la même chose, avec une certaine dualité. L'or protégeant intérieurement l'arche représenterait les forces bénéfiques, mises en jeu pour édifier l'univers; l'or extérieur, les forces contraires qui sont vouées à sa perte. Une autre explication pourrait être que l'acacia lui-même devait être autant protégé que la Loi, conservée dans l'arche, d'où les deux feuilles d'or. L'acacia aurait alors le sens de connaissance ésotérique avec ses deux facettes dorées: l'acacia serait donc l'image du libre choix qu'on ferait de la connaissance et, d'une façon générale, du libre-arbitre de l'homme, qu'il y a lieu de protéger.

Ceci nous transporte aux bois de Moab où les tribus d'Israël s'attardent avant de traverser le Jourdain pour entrer en Canaan, et où le peuple se livre à la débauche avec les filles de Moab et se prostitue à des idoles. Mais il faut choisir: rester dans le péché et le mal de Moab ou traverser le Jourdain pour conquérir la Terre Promise et parvenir au bien. L'étape de "Shittim-les acacias" est décisive: le libre-arbitre, la liberté de choix sont mis en oeuvre et l'acacia témoigne de la dualité de l'être et de la liberté nécessaire pour faire les choix cruciaux de l'existence.

Mais l'acacia n'a d'utilité que s'il est abattu. Il a été le témoin des déviations du peuple. Pour qu'il soit le fondement et l'avenir du peuple et non sa ruine, il faut qu'il soit abattu et protégé. Protégé par deux feuilles d'or, il servira de contenant aux tables de pierre de la loi et de la foi.

DES ARBRES FRUITIERS

Avant de parler de l'Arbre de Vie, je vais faire un crochet par trois arbres cités souvent ensemble: le grenadier, la vigne et le figuier. Le rassemblement de trois arbres fruitiers, représentés par leurs fruits, est lié au sens immédiat de fécondité et de prospérité, du fait de la multitude de grains ou de pépins. Ces arbres florissant désignent la prospérité d'Israël; desséchés, ils désignent sa détresse.

D'après une recherche étymologique, on peut placer ces trois espèces sur la colonne centrale de l'arbre de vie, celle de l'équilibre: le grenadier est l'image de la lumière d'en Haut, celle qui véhicule la connaissance, au sommet de l'arbre. Grâce à l'équilibre de sa forme, de sa couleur et de son goût, la vigne est au centre de l'arbre pour en représenter le coeur, image de la Splendeur et de la Beauté. Le figuier, quant à lui, représente le fondement de l'arbre, dont parfois la perfection peut être trompeuse, car il peut cacher un usage pervers de la lumière venant d'en Haut, comme une figue apparemment saine peut être avariée.

L'ARBRE DE LA CONNAISSANCE

Pour pouvoir parler de l'arbre de vie, il faut d'abord développer le sens de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, arbre à l'origine de notre présence dans ce monde matériel. Croquer le fruit de cet arbre, c'est avoir les yeux qui se dessillent et reconnaître sa nudité. C'est prendre conscience de soi et entrer dans l'univers de la connaissance profane, l'univers où le bien est mélangé au mal et où il faut pouvoir les discerner par un effort personnel.

D'après la Tradition, le fruit de l'arbre de la connaissance ne doit pas être déterminé, aucune création du divin ne devant être désignée du doigt. Pourtant, il aurait été assimilé tour à tour au blé (hithah, mot lié à la faute), à la vigne (dont le fruit donne un breuvage pouvant rendre lucide), au cédrat (dont le tronc a le même parfum que le fruit). Ainsi, à propos de l'arbre de la Connaissance, la Bible ne parle que d'un "fruit" en général, "péri". Le mot "péri" a le sens de produit ou d'engendrement de l'arbre, le résultat d'une plantation. Sur le plan symbolique, dans le mot "péri", il y a "par", signe de jaillissement, de bouillonnement et d'exubérance.

Or ce fruit non désigné a pris dans le temps et dans le subconscient occidental l'allure d'une pomme. Pourtant le pommier n'apparaît que tardivement dans la Bible, comme donnant un fruit d'une grande valeur (Cantique des Cantiques- Proverbes- Yoël). On citera le proverbe 25/11 "Des pommes d'or dans des vases d'argent, telle une parole prononcée à propos" et surtout le Cantique des Cantiques 8/5 "...- C'est sous le pommier que j'ai éveillé ton amour, là où ta mère te mit au monde, là où ta mère te donna le jour". En effet, la légende veut que les femmes du peuple hébreu pendant leur séjour de servitude en Egypte allaient enfanter sous un pommier. Puis la pomme a été progressivement assimilée au fruit de l'Arbre de Vie, du fait de son parfum et de sa saveur et surtout pour ses couleurs, rouge, blanc et vert, illustration des trois colonnes de l'Arbre de Vie, la rigueur, la miséricorde et l'équilibre du milieu (CdC 2/3). La douceur de la pomme finit par désigner aussi la Torah, le verbe divin (CdC 7/9).

Ainsi la pomme croquée a été adoptée aussi bien comme symbole unitaire de la connaissance du divin permettant la remontée de l'Arbre de Vie vers une certaine immortalité, que comme symbole de la connaissance de la dualité du bien et du mal et provoquant la trangression et la chute dans le monde matériel.

D'un certain point de vue, le fruit interdit, appelons-le "tapou", est un fruit rond, enflé et coloré, exhalant un parfum, fruit tentant qui finit par être croqué. Cet acte est une transgression qui a entraîné le premier couple dans une vie terrestre et matérielle, vie difficile et laborieuse, pleine de souffrances, de sueur et de larmes, mais aussi pleine de joie, de saveur et de sensations. Ne vaut-elle pas au moins autant qu'une vie paradisiaque, éthérée, innocente, protégée du mal mais peut-être morne. Le fruit "tapou" croqué est le résumé de cette consommation de l'interdit et de l'entrée de l'homme dans une vie nouvelle, d'une autre nature, en principe pour poursuivre l'oeuvre de la création. Or le mot hébreu pour dire pomme, "tapouah'", inclut les notions d'enflure, de transgression mais aussi d'ouverture à une vie neuve. Croquer le "tapou", c'est devenir conscient, maîtriser son existence et discerner le bien du mal.

D'un autre point de vue, croquer la pomme est aussi s'imprégner du parfum de la Torah et de la connaissance du divin, dans la recherche d'unité, en remontant l'Arbre de Vie.

L'ARBRE DE VIE

Il faut ici revenir au récit de la Genèse-chap.2: "L'Eternel-Dieu fit pousser du sol toute espèce d'arbres, beaux à voir et propres à la nourriture; et l'arbre de vie au milieu du jardin, avec l'arbre de la connaissance du bien et du mal... L'Eternel-Dieu donna un ordre à l'homme en disant: "Tous les arbres du jardin, tu peux t'en nourrir, mais l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras point; car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir..."

D'après la Tradition, l'Arbre de Vie était au milieu de l'Eden, donc d'un accès facile, tandis que l'arbre de la connaissance était à la périphérie puisant dans les eaux du bien comme dans celles de l'Autre Côté du Jardin.

Au début de la création, le jardin d'Eden était une oasis où l'univers créé était en équilibre: l'harmonie régnait entre la rigueur et la miséricorde, entre le créateur et ses créatures, qui en avaient la révélation. Le haut et le bas communiquaient sans intermédiaires. Le bien régnait et le mal était ailleurs et séparé, ayant un champ d'action distinct. L'homme jouissait de l'éternité, grâce au fruit de l'Arbre de Vie. L'accès au discernement entre le bien et le mal était à la fois interdit et inutile, puisque le mal était en dehors du jardin d'Eden. Mais cette vie harmonieuse ne dure que l'espace d'un après-midi, trois heures d'après la Tradition. Au sixième jour de la création, le couple humain, aussitôt créé, transgresse l'interdit, en goûtant au fruit de la connaissance du bien et du mal. En séparant le fruit de son arbre, Adam et Eve se séparent du Créateur pour poursuivre son oeuvre sur terre. Ils n'ont plus droit au fruit de l'arbre de vie qui les rendait immortels; ils deviennent mortels. L'équilibre du Jardin est détruit, le haut se sépare du bas, la dualité devient désordre et le bien se mélange au mal. C'est le lot de la vie dans le Royaume sur terre.

La Voie d'un éventuel retour est laissée au libre-arbitre de l'homme. D'un côté par la prière ou par la méditation, par le mérite des bonnes actions, ou par la recherche et l'étude, l'homme peut réussir à restaurer partiellement ce qui a été brisé, à réunir ce qui a été séparé. De l'autre côté par un retour sur soi, il peut séparer du mélange, les écorces du mal pour retrouver le fruit caché du bien. Mais la liberté de choix joue dans les deux sens: devant l'éloignement de Dieu, la voie est aussi ouverte à l'homme isolé de chercher à le remplacer, dans la réalisation de l'union originelle, par le pouvoir de la magie et par celui de la démiurgie, l'enfonçant de plus en plus dans la folie. Mais sommes-nous suffisamment conscients pour faire le bon choix?

Choisir la voie du retour, c'est remonter l'Arbre de Vie. Mais avant de le remonter, il faut savoir ce qu'il signifie; l'Arbre de Vie est une notion concrète tant qu'il s'agit d'un arbre: l'arbre à dix oiseaux ou à dix fruits est une image universelle, qui semble naître spontanément dans l'esprit de l'homme, parce qu'elle peut trouver une correspondance dans la réalité. Mais si les oiseaux deviennent des attributs ou des forces qui trouvent leurs racines dans le divin, l'image devient abstraite et nécessite une réflexion.

On a vu qu'on pouvait assimiler l'Arbre de Vie à un pommier. Mais on peut aussi assimiler les fruits des arbres vus ci-dessus, la grenade, le raisin et la figue, aux trois attributs centraux de l'Arbre de Vie (daat, tifeéret et yésod). Ce processus de transposition vient du fait que l'esprit humain n'est pas forcément capable d'abstraire et a besoin de notions tangibles et palpables. Et l'Arbre de Vie lui-même est une façon un peu anthropomorphique de s'imaginer la trace ou l'empreinte que le divin a laissé dans le subconscient de l'homme ou plus simplement dans sa mémoire profonde. On peut donc assimiler cet arbre à un univers créé, intermédiaire entre celui de l'homme et celui du divin, celui-ci n'étant pas directement accessible. Ce monde intermédiaire a été agencé par les qabalistes à l'image d'une arborescence vibrant sous l'effet d'une brise venant d'en Haut. Le divin étant caché, son empreinte peut vibrer en nous, si nous sommes aptes à la ressentir ou si notre esprit ou notre coeur est dans une disposition adéquate.

Pour aller plus loin, il faut entrer dans le détail de cet arbre: dix attributs disposés sur trois colonnes, selon différents niveaux. Les deux colonnes extrêmes sont celles de la dualité entre lesquelles on chemine pour trouver un équilibre précaire sur la colonne du milieu. On oscille en zigzag entre la miséricorde et la rigueur, de haut en bas ou de bas en haut.

Dans le sens horizontal, un premier niveau est celui de l'esprit, où on trouve les attributs duels, la Sagesse et le Discernement, dont la synthèse est la Connaissance. A un niveau plus bas, on a les attributs du comportement, la Miséricorde ou la Grâce, d'un côté, la Rigueur ou le Jugement, de l'autre. A un troisième niveau, la dualité est celle du halo ou du retentissement, Victoire ou Eternité sur la colonne de la miséricorde, Splendeur ou Réverbération sur la colonne de la rigueur.

Sur la colonne du milieu où a lieu l'équilibre, le haut et le bas sont des couronnes ou des interfaces, l'un avec l'esprit et il est appelé la Couronne supérieure, l'autre avec le monde matériel et il est appelé le Royaume. Entre ces deux limites, le centre est partagée entre la Beauté, point de passage entre tous les cheminements et le Fondement, attribut de stabilité et de reproduction de l'arbre. Voilà brièvement construit l'Arbre de Vie, contenant les vases d'épanchement de la lumière d'en Haut, et les forces agissant dans le monde matériel .

LE BUISSON D'ÉPINES

Après ce long détour, revenons maintenant à notre histoire des Juges et du buisson d'épines. En fait, à cette époque il était difficile de trouver un dirigeant acceptant de devenir juge. Ce qui laissait la porte ouverte à n'importe quel aventurier, assoiffé de pouvoir. Dans notre histoire et d'après nos sages, l'olivier représente un homme d'une ascendance respectable et honorable, le figuier représente un homme qui a des moyens financiers, la vigne représentant un homme ayant des moyens intellectuels, de coeur ou de caractère. Pour des raisons égoïstes ou manquant d'altruisme ou d'esprit civique, ces hommes, pourtant capables, ont refusé d'assumer un pouvoir vacant. Mais, d'un côté, la Tradition nous enseigne de nous méfier du pouvoir et ne nous encourage pas à courir après lui pour l'accaparer. D'un autre côté, elle nous enjoint de ne pas fuir nos responsabilités, si la majorité de gens sensés nous sollicite, comme c'est apparemment le cas ici.

N'ayant pourtant aucune des qualités requises pour gouverner, le buisson a accepté de régner sur les arbres. Il s'agit donc d'un pis-aller. En fait, d'après l'histoire des Juges, celui qui va prendre le pouvoir est un assassin qui vient de faire éliminer ses soixante-dix frères, ceux-ci barrant le chemin de ses ambitions démesurées.

Ainsi, au delà de l'histoire et de l'anecdote, il pourrait y avoir un sens caché dans le texte des Juges. Ce buisson rabougri, desséché et épineux, poussant dans la désolation est appelé d'un nom étrange et peu commun "athad" en hébreu. Par l'analyse sémiologique des lettres, on peut retrouver des sens différents. "Athad" pourrait signifier "le joug caché à la porte" (aleph/thét/dalet). Un aventurier, les mains pleines de sang, s'apprête à prendre légalement un pouvoir vacant. Il prévient qu'il veut des sujets dociles et que ceux qui le contesteront, aussi puissants que les cèdres du Liban soient ils, ils seront brûlés, anéantis!

Mais allons plus loin dans le buisson "athad" pour retrouver un autre sens caché. "Aleph" peut être aussi le joug de nos mauvaises pulsions qui ont chassé les bonnes, progressivement, en nous persuadant qu'ils ont une ombre ou une couverture protectrice "thét". Dalet est la porte mais aussi le sein (dadet). Le buisson "athad" est ainsi le joug de l'inclination mauvaise tapie en notre sein, comme une ombre qui aurait voilé le bien, prête à embraser le "cèdre du Liban", si nous lui résistons. Le cèdre du Liban est l'Arbre de Vie en nous.

Par la même analyse, on peut aussi interpréter le buisson "athad" comme le support de la connaissance de soi, connaissance pouvant s'ouvrir vers celle du divin, celle de l'unité cachée. Le buisson serait alors un révélateur. S'adressant aux profanes, il leur dit: "Je protégerai ceux d'entre vous qui avez un désir réel de rechercher l'unité et je les guiderai dans la voie du retour. Pour la majorité d'entre vous qui n'avez aucun désir de recherche, je suis amené à révéler mes racines, à travers un feu qui embrasera votre orgueil (le cèdre) et c'est ainsi que vous me connaîtrez!" Cette interprétation rappellerait l'épisode du buisson ardent. Et ceci nous amène progressivement à d'autres sens secrets qu'on ne peut dévoiler qu'en petit groupe.

CONCLUSION

Axe du monde, l'arbre est "é'ts" en hébreu, une source et un oeil (a'yin), une source de la connaissance et un oeil du Juste (tsadiq). Celui-ci, par son exemple, montre la Voie. Arbre de la connaissance ou arbre de vie, l'arbre abrite le Juste qui médite, enseigne ou harangue la foule. Je ne terminerai pas mon exposé sans vous raconter une histoire inspirée d'un conte oriental.

"La rumeur circulait qu'il existait dans une île lointaine un arbre dont le fruit délivrait de la vieillesse et de la mort. Le roi décida alors d'envoyer un de ses hommes à la recherche de cette merveille. L'homme partit donc et, pendant des années, visita maintes îles, maintes montagnes et maints plateaux. Quand il demandait aux passants où se trouvait cet arbre de vie, les gens souriaient en pensant qu'il était fou. Ceux qui avaient du coeur lui disaient: "Ce sont des histoires! Abandonne cette recherche!" D'autres, pour se moquer de lui, l'envoyaient vers des îles encore plus lointaines...Le pauvre homme n'atteignait jamais son but car ce qu'il demandait était impossible. Il perdit alors l'espoir et prit le chemin du retour, les larmes aux yeux. En chemin, il rencontra un vieillard assis sous un arbre, en train de méditer, un livre sous les yeux. Il lui dit: "Ô vieillard, prends pitié de moi car je suis désespéré!" -- "Pourquoi es-tu si triste?" -- "Mon roi m'a chargé de trouver un arbre dont le fruit est le capital de la vie. Chacun le convoite. J'ai cherché longtemps, mais en vain, et tout le monde s'est moqué de moi." Le vieillard s'est mis à rire: "O coeur naïf et pur! Goûte le fruit de cet arbre qui m'abrite: il est doux et savoureux! Essaye maintenant de manger ce livre qui est devant moi et qui vient de ce tronc d'arbre! Si son goût ne te paraît pas amer mais aussi doux que le fruit que tu viens d'apprécier, c'est que tu n'es pas loin de l'arbre de vie que tu recherches."

 

Albert SOUED - Octobre 1992

Voir aussi "la symbolique dans la Bible"

Voir aussi des exemples d'analyse symbolique

Retour à Cours et Conférences

Retour au menu principal