INITIATION AU BAHIR, LE LIVRE DE LA CLARTE

----

La lumière dans le Bahir

 

 

L'édition Verdier du Bahir a l'avantage de présenter en annexe un index thématique qui permet l'étude de thèmes en choisissant les "mishnayot" ou paragraphes pouvant être reliés à un thème choisi. Le thème de la lumière a un rapport direct avec le titre du livre. Le premier paragraphe annonce et explicite le sens de cette première lumière qu'on appelle "primordiale".  Nous avons sélectionné 7 paragraphes 1-13-16-25-30-146-147 sur les 18 proposés à l'étude.

 

Mishna 1

Rabbi Néhounia ben Haqana dit: "Un verset dit: "Personne ne peut regarder la lumière claire, dans le 3ème ciel (Shéh'aqim), lorsque le souffle qui passe l'a purifiée" (Job 37/21).

Un autre verset dit: "Des ténèbres il se fait une mystérieuse retraite; il s'enveloppe, comme d'un pavillon, d'eaux obscures, d'opaques nuages" (Psaumes 18/12).

Et ailleurs encore il est dit: "Il s'enveloppe de nuée et de brume épaisse, la justice et le droit sont la base de son trône" (Psaumes 97/2).

Il y a une contradiction. Vient un 3ème verset pour équilibrer les deux premiers: "Les ténèbres mêmes ne sont pas obscures pour Toi, la nuit est lumineuse comme le jour, l'obscurité est clarté" (Psaumes 139/12).

 

Comme tout le Bahir, cette première mishna paraît énigmatique. Le "Bahir" se base sur un verset du livre de Job où son ami Elihou essaye de le consoler de ses malheurs, en lui parlant du miracle de la création et des merveilleuses lois du Créateur, de celui qui possède la "science parfaite". Et qui sommes-nous pour nous révolter contre Lui? Nous sommes dans des ténèbres et nous ne pouvons comprendre le dessein de D. qui, Lui, baigne dans une clarté limpide. Puis le narrateur introduit deux versets des Psaumes où D. est enveloppé dans l'opacité et l'obscurité. La contradiction est levée par un quatrième verset des Psaumes où on précise que l'univers divin ne peut être perçu et compris comme l'univers limité que nous connaissons, car les notions de lumière et d'obscurité y sont différentes, l'obscur y est lumineux et le sombre y est clair.

Il faudrait aller plus loin et analyser les mots significatifs en hébreu.

 

"Or bahir" est la lumière claire, splendide…mais plus que cela: c'est la lumière qui cache l'unité absolue, celle qu'on perçoit ou qu'on ressent quand on grimpe aux sommets d'une montagne, ou aux sommets de sa propre conscience.

Or= aleph/waw/resh, en sémiologie l'unité est séparée par le waw du resh, sommet (espace) ou début (temps). Dans Bahir, il y a "behar" ou "dans une montagne" et le "yod", la semence initiale y est cachée. Séparation, cachette, souffle ou semence du début, la nécessité de monter…tout cela est inclus dans "or bahir".

"Shah'aq" est le 3ème ciel dans le langage ésotérique; sur le plan étymologique, c'est un nuage de poussière fine, réduite à sa plus simple expression, une poudre. Dans shah'aq, il y a donc une certaine opacité dans la transparence, opacité qui ne peut se dégager que par un souffle (rouah' ou âme pensante). C'est "rouah' qui purifie "shah'aq" pour obtenir "or bahir". Mais cette lumière radieuse et limpide, on ne peut la regarder sans être ébloui et aveuglé, même si on y parvient en grimpant avec les jambes ou par la pensée.

Nous venons d'analyser le verset d'ouverture du livre "Bahir" tiré de Job, d'une tirade d'un ami de Job, Elihou qui cherche à lui expliquer les insondables desseins divins pour le consoler de ses malheurs.

Rappelons que "Bahir" est un hapax legomenon, mot qui est unique dans la Bible n'apparaissant que dans ce verset de Job. Le sens inclut la clarté, la brillance mais aussi la lucidité.

"Or" est la lumière du jour, l'embrasement du soleil levant ou le feu du soleil couchant. "Or" est l'équivalent guématrique de "ayn sof", l'infini sans fin.

 

Les deux versets suivants tirés des Psaumes illustrent le voile ou le secret dont se drape "cette unité sans fin", pourtant lumière. Mais à ce niveau lumière et obscurité sont équivalentes et cette dualité n'a de sens que pour nous, humanité cherchant confusément à comprendre. L'unité intègre en elle la droite et la gauche, la miséricorde et la rigueur, la justice du cœur (tsédeq) et celle du tribunal (mishpath). Lumière et obscurité y sont une même entité.

 

Mishna 13

Rabbi Boun vint encore à interpréter le verset Isaïe 45/7: "Je forme la lumière et je crée les ténèbres; je fais la paix et je crée le mal; moi l'Eternel je fais tout cela!"

C'est à propos de la lumière qui est dotée de substance que l'Ecriture emploie le mot "yetsirah" ou formation, tandis qu'au sujet des ténèbres qui n'ont pas de substance, l'Ecriture se sert du terme "bériah" ou création; et ceci en accord avec Amos 4/13:

"Car c'est lui qui a formé les montagnes et créé le vent; c'est lui qui révèle à l'homme sa propre pensée, qui change l'aurore en ténèbres, qui marche sur les hauteurs de la terre. Son nom est "D. des armées" (célestes)".

On peut l'expliquer encore ainsi: il s'agirait de la lumière qui a son existence propre ou "havayah", car il est écrit dans Genèse 1/3: "D. dit: "que la lumière soit!" et la lumière fut!"

Il n'y a d'existence que par acte, l'Ecriture emploie donc l'expression "yetsirah". Mais au sujet des ténèbres qui, elles, ne sont pas "acte", mais seulement "séparation" et "distinction", l'Ecriture emploie le mot "Bériah". C'est comme si l'on disait "untel a recouvré la santé" (hibri).

 

Le monde intermédiaire conçu par la qabalah est un emboîtement ou une superposition ou une cascade de mondes progressifs et évolutifs à l'image du cheminement d'une idée venant du génie d'un artiste, d'un artisan ou d'un inventeur. Au départ on a une "émanation" (atsilout) de la lumière qui se transforme en création (bériah); une idée concrète est esquissée; puis vient la "formation" (yétsirah) où l'auteur forme et réalise son idée par des exemples; dans la "fabrication" ou "action" (a'ssiyah) in fine l'idée est matérialisée et diffusée à l'extérieur. Cette dernière phase est notre monde matériel.

Ici le Créateur "crée" les ténèbres et "forme" la lumière;  il "fabrique" la paix et "crée" le mal. Il "matérialise" et "diffuse" tout cela…En fait, il y a une évolution des ténèbres du mal vers la paix, en passant par la "lumière". On ne peut parvenir à la paix que par la connaissance dont l'image est la lumière; et cette lumière n'est pas une simple différenciation comme les ténèbres, mais déjà une œuvre d'artiste, obtenue par un acte qui la fait exister. La      volonté de créer si elle se limite à la création, ne donne qu'un concept brut obtenu par discernement de la pensée; c'est une "séparation, clarification" sans consistance, comme les ténèbres ou le mal. Ceux-ci ne sont qu'absence de lumière ou de bien. La lumière a de la substance comme le bien.  On forme le "bien" et on fabrique la "paix". Si le mal est une certaine obscurité et une absence de lumière ou e connaissance, le bien est un acte et la paix n'est obtenue que par construction.

La progression donnée en exemple dans Amos est celle du souffle (créé), de la montagne (formée), de l'aube (à la fois lumière et temps et qui est déjà le début de l'action).

On remarquera que "havayah" est l'anagramme du nom tétragramme divin. On sait que le verbe et la lumière sont de même nature en qabalah; ainsi "amirah"," dvarim" (le dire, les paroles) et "nour" (la lumière du feu) ont la même valeur guématrique et la même consistance (256), "dibour" (discours) a la même valeur que "zohar" (lumière splendide). L'existence de l'un est liée à celle de l'autre et l'ensemble est étroitement lié au divin. Toute création est comme un nouveau-né qui émerge de la matrice, on regarde tout de suite s'il est "sain" ou "bari"

 

Mishnah 16

Rabbi Reh'oumay dit: "La lumière a précédé le monde, entouré de nuée et de brouillard, comme il est écrit dans Genèse 1/3: "D. dit: "que la lumière soit!" et la lumière fut!".

Ils lui dirent: "Avant que tu aies ton fils Israël, lui as-tu déjà tressé une couronne?" Il leur répondit: "Oui! La chose est comparable à un roi qui languissait son fils. Ayant trouvé une belle couronne, précieuse et renommée, il s'en réjouit disant qu'elle serait adaptée à la tête de son fils, et qu'elle lui irait bien. Alors quelqu'un s'adressa à lui pour lui demander s'il était sûr que son fils en fut digne. Il répondit: Tais-toi! L'idée est montée dans ma Pensée, comme il est dit dans II Samuel 14/14: "Car enfin nous sommes mortels, semblables à l'eau répandue sur le sol et qu'on ne peut recueillir; mais D. n'enlève pas la vie et il combine ses desseins (pense des pensées)  pour ne pas repousser à jamais celui qui est banni de sa présence"

 

Là, il y a un parallèle entre la lumière "bonne" qui a été "formée" et réservée à l'humanité, avant sa création, et la "couronne" réservée à Israël, avant qu'il ne soit né. Cette couronne est la Royauté ou Communauté d'Israël, dernière séfirah sur l'Arbre de Vie, au contact avec le monde matériel. La couronne d'en bas s'appelle "atharah".

Selon la qabalah, D. a créé le monde par une pensée (mah'ashavah) suivie d'une volonté (ratson). L'homme peut se rapprocher de D. par une descente aux profondeurs de lui-même, et cela s'appelle "descendre dans le Char" (larédet merkavah), avant de remonter vers la Pensée (laa'lot mah'shavah).

 

Mishnah 25

Rabbi Bérekhyah dit: "Pourquoi est-il écrit dans Genèse 1/3, D. dit "yéhi or wayéhi or" (et la lumière fut) et non pas "wehayah or" (et la lumière est)? Ceci se compare à un roi qui possédait un objet précieux. Il le mit de côté jusqu'au moment où il lui désigne un endroit où le placer. C'est ce qui est exprimé par le mot "wayéhi", fut. Cela veut dire que la lumière était déjà là.

 

Cette mishnah est explicite en ce sens qu'elle confirme la précédente. La lumière primordiale "ayn sof or" précède les mondes créés. Une partie de cette lumière parvient à l'homme.

 

Mishnah 30

Ils (les disciples du maître Réh'oumay) lui demandèrent: Que signifie "waw"? Il leur répondit: L'univers fut scellé dans six directions. Ils lui demandèrent: Mais waw n'est-elle pas une seule lettre? Il leur répondit: Et n'est-il pas écrit dans Psaumes 104/2: "Il se drape de lumière comme d'un vêtement, il étend les Cieux comme un rideau"

 

Waw a comme valeur 6. Waw est un lien (ou une séparation). Il est au centre de l'Arbre de Vie, au niveau de Tifeéret, la Beauté du centre, reliée à six séfirot.

Le vêtement est "silmah" ou "simlah", équivalent à shelémah, la paix, la perfection.

Le but de la lumière incidente est d'éclairer le monde pour qu'il parvienne à la paix. Et cette lumière est représentée par la lettre "Noun", qui est aussi connaissance, et par son relais "Waw" dans le monde intermédiaire. Mais d'une part, cette lumière émise s'obscurcit au fur et à mesure de sa descente et elle n'est ravivée que par l'action de l'homme qui doit renvoyer sa propre lumière. D'autre part, cette lumière est protégée et couverte. Le choix du psaume par le narrateur n'est pas fortuit: les deux verbes se couvrir (o'theh) et étaler ou étendre (notheh) contiennent la lettre teth, image d'un dessein caché. Toute connaissance doit être relayée, mais en même temps protégée contre un usage pervers.

 

Mishnah 146

La sixième (parole) c'est le Trône de Gloire, qui est couronné, accompli, glorifié et bienheureux. C'est la Maison du monde à venir et son lieu se trouve dans "Hokhmah" (la Sagesse), ainsi qu'il est écrit dans Genèse 1/3: "D. dit: "que la lumière soit!" et la lumière fut!" .

 

Le Trône de Gloire est au centre de l'Arbre de Vie dans la séfirah "Tifeéret". Le Monde à venir commence à la séfirah "H'okhmah". On est en pleine ascension extatique (voir mishnayot précédentes). Remplacez le mot "lumière" par "connaissance " et remontez l'Arbre de Vie par la pensée. On peut parvenir à la Sagesse et percevoir le Monde à venir par une vraie connaissance de soi et de l'autre. C'est cela la connaissance de D.

 

Mishnah 147

Rabbi Yoh'anan dit: Il y avait deux grandes lumières, car il est dit "vayéhi or" (et la lumière fut); et c'est à propos de ces 2 lumières qu'il est dit "elle était bonne". Le Saint Béni Soit-Il prit alors une de ces 2 lumières et la cacha pour les justes aux temps à venir. C'est ce qui est écrit dans Psaumes 31/20: "Ah! Qu'elle est grande ta bonté, que tu tiens en réserve pour tes adorateurs, que tu témoignes à ceux qui ont foi en toi, en face des fils de l'homme!".

Ceci nous enseigne que cette lumière cachée, aucune créature ne saurait la contempler, car il est dit dans Genèse 1/4: "D. vit que la lumière était bonne et il établit une distinction entre la lumière et les ténèbres" , et ailleurs encore, il est écrit dans Genèse 1/31: "D. vit que tout ce qu'il avait fait, était très bien. Voilà un soir, voilà un matin, ce fut le sixième jour". Le Saint Béni Soit-Il vit tout ce qu'il avait fait, il vit le Bien "tov" rayonner de toute sa clarté "bahir". Il prit ce Bien et il y inclut les 32 sentiers de la sagesse "hokhmah" et il en fit don à ce monde-ci. C'est le sens du verset des Proverbes 4/2: "Car je vous donne des leçons du "bien"; n'abandonnez pas mon enseignement (torah)!"

Dès lors que signifie "le trésor de la Torah orale"? Le Saint Béni Soit-Il dit: s'ils observent cette mesure "midah" dans ce monde-ci, car cette mesure représente ce monde-ci, la Torah orale, ils seront considérés comme dignes de participer à la vie du monde à venir, et c'est ce Bien (tov) là qui est réservé aux Justes.

Et qu'est-ce? C'est la puissance du Saint Béni Soit-Il, dont il est écrit dans Habaqouq 3/4: "C'est un éclat éblouissant comme la lumière, des rayons jaillissent de ses côtés et servent d'abri à sa grandeur". L'éclat qui est un reflet de la lumière originelle brillera alors comme cette même lumière. Tout cela à condition que mes enfants observent la Torah et les Commandements que j'ai écrits pour les instruire, selon Exode 24/12: "L'Eternel dit à Moïse: Monte vers moi sur la montagne, demeures-y, je veux te donner les tables de pierre, la doctrine et les préceptes que j'ai écrits pour leur instruction". Et comme il est dit encore ailleurs dans Proverbes 1/8: "Ecoute, mon fils, les préceptes moraux de ton père , ne délaisse pas l'enseignement de ta mère"

 

Le mot qui revient dans cette mishnah comme un leitmotiv est le "Bien". Ce bien est la lumière émanant de l'infini et qui nous éclaire, qui illumine notre âme et notre esprit. Nous recevons une parcelle de la lumière primordiale. Et cette parcelle de clarté splendide est très bonne, c'est la connaissance par transmission de la Torah orale, dans notre univers limité. Mais nous savons que cette Lumière-Connaissance est inscrite ou écrite dans un univers infini et infiniment plus lumineux; celle-ci est réservée aux Justes et à tous les humains dans le monde à venir.

Mais pour qu'elle continue à briller, elle doit être alimentée par "le faire" des humains, c'est à dire l'observance des mitswot, qu'elles viennent du côté de la miséricorde (préceptes d'éthique) ou qu'elles proviennent de la rigueur, interdits et instructions.

 

 

Albert SOUED –16 décembre 2001

Retour à cours et conférences