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Le Bien et le Mal Selon la Qabalah
Disserter sur le bien et le mal n'est pas aisé. Notions intuitives ou raisonnées, personnelles ou sociales, il est prétentieux de définir pour autrui le bien et le mal. La société induit des règles relationnelles tirées da la culture, de la tradition ou de la religion. Ces règles de comportement définissent ce qui est permis ou défendu, ce qui est considéré comme vrai ou faux, décent ou indécent ce qui est bien ou ce qui est mal.
La lutte contre le Mal ne résonne pas de la même manière dans chaque culture. Ainsi quand Bush l'Américain veut lutter contre le Mal, l'Europe sourit ou ricane, l'Orient fataliste rentre dans sa coquille, et il se retrouve seul.
On m'a souvent sollicité pour répondre sur ce sujet. Je me souviens d'une maîtresse d'école, qui voulait une réponse pour ses élèves et pour le lendemain. Bien qu'elle ne m'en ait pas fait part, je suis persuadé que mes propos l'ont étonnée. Je vais essayer de donner ici un raccourci du point de vue de la qabalah sur le sujet, en commençant par l'étymologie et la sémiologie.
Dans la Torah, le mot "bien" ou "thov" en hébreu apparaît très vite pour qualifier la lumière créée (Genèse chap 1/4), puis toute la création et notamment les créatures vivantes qui furent bénies, et elles, sont même "très bien", ou "thov méod". Néanmoins, un hiatus apparaît le second jour de la création, lors de la séparation des eaux; le résultat de cette action n'est pas considéré comme "bien" et le texte est muet à son sujet. D'après la Tradition, c'est à ce niveau que les "anges du mal" apparaissent.
En fait, dans le texte biblique, le mot "mal" ou "raa'" en hébreu ne surgit que plus loin à Genèse chap 2/9, où D. fait pousser de la terre de beaux arbres, agréables à voir et "bons" à manger, dont l'arbre de vie et l'arbre de "la connaissance du bien et du mal". Ce dernier est donc un bel arbre; et il est "bien" comme toute la création, mais il annonce déjà à l'homme que cette création de la matière animée n'est pas parfaite, puisqu'elle contient un mélange de bien et de mal, qu'il faut connaître et savoir discerner.
L'étymologie de "thov" n'apporte rien de neuf. Celle de "raa'", du fait des homonymes, peut suggérer que le mal n'est pas seulement extérieur à soi, mais également dans l'intimité de ses intentions (réyaa') ou de ses relations (compagne, compagnon, joug).
La sémiologie est plus riche. Thov s'écrit thét/bet ou ce qui est caché à la maison, le bien est à chercher à l'intérieur de soi, ou le bien est à portée de main. Quant au mal qui s'écrit resh/a'yin, en dehors du fait que l'il le reflète admirablement (mauvais il), sa source (a'yin) est au début (resh) de la création.
De nombreux mots en hébreu commencent avec "raa'": raa'b est le mal à la maison (bet est la maison) qui donne famine et rareté; "raa'd" est le mal à la porte (dalet est la porte) et c'est la terre qui tremble
Pour résumer, le bien est en nous ou à portée de main; le mal nous talonne comme un compagnon, s'immisce dans nos pensées et nos projets, nous harcèle comme un bruit incessant, un cri sans fin
Le mal s'exprime de différentes manières dans la qabalah. Le mot le plus général est "Autre côté" (sitra ah'arah), non qu'on ne veuille pas le voir ou le prendre en considération, mais parce qu'il représente un "lieu indéfini", un ailleurs où on bascule.
L'arbre de vie est une manière équilibrée et même neutre d'appréhender la vie et l'univers, un dosage méticuleux de la rigueur et de la miséricorde dans notre pensée, nos sentiments et dans notre comportement à tous les niveaux. Un équilibre parfait est impossible vu que l'homme est imparfait et qu'il a besoin d'évoluer pour accomplir sa vie sur terre. Cette évolution se fait par des impulsions, soit un excès de rigueur, soit un excès de miséricorde. Or la Tradition nous apprend que cet excès doit être dosé ou contrôlé pour ne pas basculer de l'Autre Côté. En effet toute exagération dans un sens ou dans l'autre y mène; comment une exagération dans la miséricorde peut-elle entraîner le mal? Tout simplement par le fait qu'elle est suivie par une exagération dans la rigueur (retour du balancier) qui, elle, mène inéluctablement vers le mal appelé "Autre Côté". L'Autre côté est celui où l'obscurité est totale, là où il n'y a aucun espoir. L'Autre Côté est à l'image de ce côté-ci, celui du bien, sauf que tout comportement est orienté vers le mal.
D'après la qabalah, l'injustice, l'impatience et la colère sont des voies royales menant vers l'Autre Côté.
Un autre mot est "El zar", dieu autre ou étranger, pour exprimer cette étrangeté qui nous visite, à laquelle nous sommes tentés de nous attacher et que certains appellent "démon". À titre récréatif, "zar" est aussi dans certains pays la cérémonie de désenvoûtement d'une personne possédée.
Le mal subi est appelé "moshel zadon", celui qui gouverne par la tyrannie: en effet à tout moment on peut subir un ouragan, une épidémie ou une révolution. Le mal envahit tout et son existence est bien réelle. Le mal qu'on s'inflige à soi-même ou qu'on accepte librement par tentation ou quand la raison ne parvient pas à brider l'imaginaire est parfois désigné par le mot "roi" ou "mélekh" (mauvais roi bien sûr ou mauvais penchant qui règne en nous ou tapi à notre porte), pour bien préciser qu'il règne en permanence.
Deux autres mots courants satan et samael ne sont pas le privilège de la qabalah; satan est celui qui vous empêche (de faire le bien), il est à la fois le tentateur, l'accusateur et l'exécuteur des basses besognes (le bourreau de la mort); samael est l'ange de la gauche, (smol) côté de la rigueur qui entraîne vers l'Autre Côté.
Question posée couramment: pourquoi le mal existe-t-til? Et surtout pourquoi D. qui a créé tout "bien", l'a-t-il laissé entrer dans le "bien"?
Une première explication est qu'au début de la création, il y eut une "fracture" (shvirat haqelim ou vases brisés) où le mal s'est introduit. Une manière de dire qu'il y eut l'opportunité pour que l'homme puisse "réparer" un monde imparfait.
De même, un monde parfait et paradisiaque est statique. Il n'est pas concevable sur le plan dynamique et évolutif; c'est l'anomalie et la dissymétrie qui créent la matière et de là l'homme. Et "ne vaut-il pas mieux un monde imparfait avec l'homme qu'un monde parfait sans l'homme?"
Une autre explication concerne l'équilibre de l'univers. Un univers créé "entièrement bien" ne connaissant pas le mal, peut globalement basculer dans le mal et le chaos sans combat, puisqu'il ne peut reconnaître l'ennemi. Et là un retour en arrière est impossible. Le mal est donc nécessaire, et il faut le connaître et le reconnaître pour en venir à bout.
"Il faut visiter Canaan avant de la conquérir".
La qabalah propose plusieurs solutions dans le comportement individuel ou collectif.
Le mauvais penchant naît avec l'homme et il a pris les devants pour le séduire. Quand plus tard, à la puberté, vient le bon penchant avec le sens de la responsabilité, l'homme l'accepte difficilement et ne lui fait pas confiance, car il apparaît alors comme un fardeau. Le terrain étant déjà conquis, pour que le libre arbitre puisse s'exercer et renforcer le bon penchant, il faut de la sagesse, du discernement et une solide éducation. Pour parvenir à apprivoiser le mal qui nous guette, l'homme doit exercer son libre-arbitre et empêcher le mal de tout envahir.
Il ne faut ni surestimer ni sous-estimer l'influence du mal dans le monde. Il est là, et il faut éviter de jouer à l'autruche, en détournant la tête et en l'oubliant, espérant qu'un jour "les choses changeront", ou en inventant un prétexte philosophique du type non-agir, ou en se voilant la face pudiquement. Il faut le combattre d'emblée: comme Amaleq, il ne faut pas l'épargner (1). Il faut tout mettre en uvre pour résister, l'endiguer, puis en triompher, tout en préservant les normes morales. Plus grand est le mal, plus la volonté de le combattre doit être ferme, pour éviter une défaite qui serait fatale à l'humanité.
Il faut donner sa part à Satan, en ce sens qu'un "absolu de bien et de bonté" est illusoire dans ce monde et mensonger. Un os à ronger donné à Satan est par exemple un défaut ou une faiblesse de soi-même ou de l'autre qu'on admet et qu'on accepte. Il vaut mieux cela qu'un basculement de l'Autre Côté.
Du mal peut sortir un bien, comme de l'ombre, la lumière. Dans le mélange ambiant bien/mal, il faut apprendre à discerner le mal du bien et il faut tendre à sublimer le mal en bien. Des expériences douloureuses, naît la voie du retour (téshouvah) et de la réparation (tiqoun). La souffrance doit être soulagée sans perdurer, en donnant un sens à sa vie; et cette souffrance peut devenir un aiguillon pour faire le bien. "Le même feu qui fait souffrir l'être humain peut lui apporter la chaleur et le réconfort".
La connaissance est source de bien, car elle permet d'éviter, de prévenir ou d'atténuer les catastrophes naturelles, les épidémies, les crises économiques, et peut-être même un jour les pulsions criminelles ou la dégénérescence. A contrario d'après la Tradition, "la sottise de l'homme pervertit sa voie". Le mal qu'on accepte ou qu'on s'inflige est ainsi le résultat de la stupidité, de l'ignorance et de la déraison.
Il faut faire le bien à soi-même et à autrui. Il faut se
soigner quand cela est nécessaire et ne pas négliger ni son habitat ni son apparence.
Si on s'en sent capable, il faut tendre la main aussi et tirer du ruisseau un
prochain qui s'y est englué. D'après la Tradition, "le mal est une absence
de bien ou une privation de bien". Faire et propager le bien est une forme
de lutte contre le mal. On peut imiter D. par les treize mesures de compassion
( Exode 34/6-7). (2)
On ne choisit ni sa naissance ni sa mort, mais on peut choisir sa vie au lieu de la subir.
Dans un siècle occidental repu et hédoniste, le plaisir est devenu une fin en soi et souvent la finalité de toute vie. Le plaisir fait partie du bien, à condition qu'il soit considéré comme un moyen et non comme une fin; on peut transcender la joie et le plaisir vers une finalité supérieure, l'amour d'autrui par exemple. Le plaisir comme fin est une "exagération" (des sens, du sexe, de la beauté ) qui fait basculer l'individu inexorablement de l'Autre Côté de l'Arbre de Vie.
Avec les moyens offerts après deux siècles de connaissance et d'innovation rapide, l'homme peut faire évoluer son destin, faire appel à son libre-arbitre pour s'améliorer et améliorer son environnement naturel. On peut apporter une empreinte positive dans le monde où on vit, par une action orientée vers le bien, sans oublier de combattre Amaleq énergiquement dès qu'il survient!
(1) Roi ou peuple, Amaleq est l'image du mal absolu.
(2) Les 13 mesures
de compassion- Exode 34/6-7: "...ADONAÏ
est l’Étre éternel, tout puissant, clément, miséricordieux, tardif à la colère,
plein de bienveillance et d'équité; 7 il conserve sa faveur à la millième génération;
il supporte le crime, la rébellion, la faute, mais il ne les absout point: il
poursuit le méfait des pères sur les enfants, sur les petits-enfants, jusqu'à
la troisième et à la quatrième descendance."
Albert Soued 18 août 2003