Le Japonais est-il Juif ou Antisémite
?
Non, il ne s'agit nullement d'un thème ludique ou provocateur, mais d'une question qui mérite qu'on s'attarde un peu, surtout quand on a le vague sentiment que les Japonais sont à un tournant de leur évolution. Vont-ils prendre des risques et s'ouvrir à l'Occident ou persister dans leur isolement insulaire et protégé?
Du côté matériel
Le Japon comprend principalement 4 grandes îles, couvrant un territoire allongé et très découpé, grand comme les deux tiers de la France, mais deux fois plus peuplé, avec une surface habitable, à peine plus grande qu'un région française. Des montagnes abruptes garnies de forêts denses de conifères occupent les trois quart du pays.
Quatre données fondamentales ont forgé le caractère de ce peuple originaire de Chine, de cette nation relativement jeune, ayant moins de 18 siècles: l'insularité et la nature hostile, le manque de place et le manque de ressources.
L'insularité explique le régime autarcique et tourné sur soi qui a prévalu, jusqu'au siècle dernier. Les calamités naturelles, séismes, éruptions, raz de marée, typhons plongent périodiquement ces îles dans l'angoisse et la détresse.
Un terrain à Ginza, quartier chic de Tokyo, grand comme un mouchoir de poche, coûte plus de 300 000 FF. et le loyer d'un appartement de 100 m2 est supérieur à 50 000 F/mois. Les nouvelles générations sont obligées de s'endetter sur 100 ans pour acquérir un logement . Et même les garages à vélos sont superposés et il n'y a pratiquement plus d'espace vert dans les cités, sauf quelques rizières soutenues à coup de yen par le gouvernement. Le terrain étant à prix d'or, le Japonais a appris à gérer son espace intérieur étroit, fonctionnel et pratiquement vide. La construction est légère, la façade laide, l'urbanisme anarchique et déroutant. Les belles villas, les maisons de thé et les fameux "jardins japonais" sont visités comme des sanctuaires ou des musées.
Manquant de ressources vivrières et minières, sans ressources énergétiques, le Japon n'est autosuffisant que pour deux denrées, le riz et le poisson. Cultiver sa rizière est un devoir national et "cultuel". Après ses 45/50 heures de travail hebdomadaire, l'ouvrier sème, pique et repique son riz, puis le vend à l'Etat, à 5 fois le prix du marché mondial, pratique d'un régime qui fut autarcique, il n' y a pas longtemps encore. On connaît aussi la force de frappe des chalutiers nippons qui sillonnent les océans et les pillent, à la recherche d'une autosuffisance en protéines phosphorées.
Totalement dépendant de l'étranger pour son développement, le Japonais est pourtant en voie de dépasser l'Américain pour son revenu par habitant. Les limitations naturelles décrites ont certes forgé un Japonais fermé, secret, maître de ses sentiments, autopolicé, organisé, matérialiste et pugnace. Cela suffit peut-être pour expliquer sa performance matérielle. Mais à quel prix a-t-elle été obtenue et est-elle durable?
J'ai décrit la cuirasse du citoyen basée sur la nécessité de survivre et sur la discipline du groupe, son ardeur au travail et la précision minutieuse dans sa perception des choses, avec peu de place pour l'individualité et le libre-arbitre. Mais les caractéristiques fortes d'un peuple peuvent être perçues comme des faiblesses par un autre. Avec les critères occidentaux, le régime Japonais peut être jugé comme fragile et vulnérable, fascisant ou hégémonique, conformiste ou "vieux jeu". Toujours est-il qu'à ce jour, il semble gagnant dans l'univers matériel où nous évoluons et il accumule des richesses, qu'il ne parvient pas à dépenser par ailleurs.
Jusqu'à l'an dernier, les Etats-Unis ont laissé faire les Japonais, peut-être un peu coupables pour Hiro-shima et Nagasaki. Aujourd'hui ils augmentent leurs pressions pour casser le protectionnisme japonais et pousser le Japon vers un processus économique véritablement libéral et transparent. Ainsi le Japon commence à stimuler le marché intérieur, pour résorber ses excédents. Mais comment le Japonais pourra-t-il utiliser ses énormes économies? Le logement est hors de portée, sauf pour les entreprises et les plus riches. Le marché de l'automobile est saturé faute de parking et de trottoirs. Il y a peu de place pour du mobilier et, cuisinant peu, la japonaise n'a pas besoin d'un grand équipement. Le Japonais est loin d'être un grand "communiquant" et, peut-être par compensation, il est devenu le roi des objets et des gadgets de la communication; mais il en est sursaturé. Alors où stimuler la consommation? Manger mieux et plus diversifié, s'habiller selon la mode, avec des griffes prestigieuses, faire du golf dans les cages à lapins que sont "les practice" à étages, développer le futile et l'éphémère Tel grand magasin organise des coquetels et des soirées mondaines pour donner l'occasion à ses clientes de porter les onéreux bijoux ou vêtements qu'il lui a vendus. Il n'est certes pas facile d'inciter le Japonais à consommer chez lui, au lieu d'investir dans les sociétés d'Occident ou d'Extrême Orient.
Du côté religieux
Shintoïste à sa naissance, le Japonais meurt bouddhiste, les prêtres s'étant partagés ces deux marchés. Quand il est cultivé ou très riche, le Japonais se marie à l'église, car cela a plus d'allure!
Le shintoïsme est la tradition ancestrale, le bouddhisme ayant été introduit au début de l'ère courante, via la Corée. Cette tradition n'est pas tout à fait une religion, mais un ensemble de croyances relatives au "kami", entités supérieure pouvant être aussi bien des choses de la nature, telles qu'un lac, une montagne que des éléments tels que le vent ou un typhon, ou même un "esprit", un ancêtre par exemple. En fait le kami est "toute chose qui mérite d'être crainte et vénérée, pour les forces extraordinaires qu'elle recèle, cette chose n'ayant pas forcément, une bonté ou une générosité inégalable". Pour se concilier les kamis, on fait des offrandes. Pour s'en protéger, on dispose d'une profusion d'amulettes et de talismans.
Le sanctuaire shinto se distingue par sa relative simplicité. Le portail symbolique rouge, de forme symétrique voisine d'un pi grec, est appelé "torii". Le mot "shinto" signifiant "la voie des dieux", le chemin parcouru par le fidèle est en effet ponctué de torii; de part et d'autre du chemin se dressent des autels-luminaires, ces autels étant offerts par paires par les fidèles. La dualité est constante, l'entrée de tout sanctuaire étant flanquée de deux arbres, un pêcher à droite, un mandarinier à gauche.
Le sanctuaire est constitué de trois zones. Dans la zone extérieure ou la cour, on vend des objets de culte (amulettes, porte-bonheurs, encens, papier plié pour les vux ) et c'est là où se dressent un clocher avec un heurtoir horizontal, ainsi qu'une fontaine d'eau sacrée, avec ou sans carpes jaunes, pour se désaltérer. Ensuite on entre dans le "saint", sans chaussures, pour se recueillir et prier. On fait tinter un grelot à l'aide d'une grosse corde tressée, on tape des mains deux fois, on les joint en s'inclinant (il y a parfois une série de poupées et souvent rien du tout), puis on tape des mains à nouveau et on s'en va, après avoir jeté une pièce ou deux dans un grand coffre à bras et noué un vu aux branches de l'arbre sacré "sakaki". Le "saint des saints" n'est accessible qu'aux prêtres. On l'entrevoit de loin, sans qu'on puisse voir ce qu'il contient de précieux et ce qui s'y passe. Il semble que le plus vénéré de tous, le sanctuaire d'Ise, contienne un miroir, une épée et une pierre précieuse.
On note le relatif dépouillement du sanctuaire shinto, qui ne contient pas d'images, mais des symboles géométriques duels ou trinitaires, quand on le compare au temple bouddhiste, chargé de pagodes décorées, de bouddhas, avec ses gardiens hideux ou fantasmagoriques, sans parler de ses svastikas.
En fait les deux traditions sont intimement mêlées et il est difficile de distinguer le sanctuaire shinto d'un temple bouddhiste, sauf à Ise. Au Japon, il y a plusieurs centaines de sectes, plusieurs dizaines de milliers de congrégations autonomes et une myriade de kamis qu'on vénère. On est dans le fief de la pluralité et de la multiplicité, au point que chaque entreprise d'une certaine taille a son propre autel, installé sur la terrasse, pour son dieu particulier.
En caricaturant, le shintoïsme exacerbe le culte de la nation et de la force, et il a été étroitement lié au fascisme d'état. Le bouddhisme apporte la culture et l'art, le culte des ancêtres, et un brin de morale. A toute petite échelle, mais efficace, le confucianisme a permis aux Japonais de devenir de bons capitalistes.
Journaliste au Japon A Koestler disait jadis que le japonais était "essentiellement dépourvu de religion", mais certains spécialistes japonais prétendent au contraire qu'il y a une telle religiosité dans le pays et une telle effervescence, sinon ferveur, que du laboratoire "Japon" naîtra la religion des prochains siècles. Il est vrai que n'importe qui peut créer d'emblée une secte et il est assuré d'avoir rapidement des milliers d'adeptes.
Alors le Japonais est-il un homme religieux? Peut-être. Il m'est apparu plutôt d'une religiosité archaïque, en ce sens que sa spiritualité spécifique et individuelle est pauvre. Il est pris dans un carcan de croyances traditionnelles et il a une curiosité telle qu'il croit en tout, et finalement en rien. Il est sans "substance essentielle" comme sa nourriture, dont le raffinement est superficiel, rien que pour les yeux, mais en fait elle est crue, rude et sans "culture" culinaire. Elle ne rassasie pas tout à fait.
Le Japonais a une prédilection pour l'arrangement superficiel, le bouquet de fleurs, la cérémonie du thé, le jeu de masques, l'habit de cérémonie, l'arrangé, le poli et l'épatant. Quand on gratte un peu, une hostilité archaïque se manifeste par des accents rauques et des gestes brefs et saccadés. Doté d'une grande faculté d'analyse et d'une grande patience, le Japonais se délecte dans la rigueur du discernement et a peu de goût in fine pour la miséricorde, considérée comme une faiblesse ou un handicap. En termes bibliques, il est à l'aise dans "binah" intelligence, discernement), mais pas trop dans "h'okhmah"( sagesse globale et intuitive), et dans l'unité primordiale. Un cousin qui a vécu près d'un demi siècle à Kobé m'a avoué que les Japonais qui "entraient en maçonnerie n'y comprenaient pas grand chose"; et pourtant il en a vu passer un grand nombre!
Mais alors comment se fait-il que plusieurs sectes se réclament du Judaïsme?
En 1990, il y a entre 1000 et 1500 Juifs au Japon, pour la plupart des américains expatriés, puis des "restes" d'une immigration européenne de la première partie du 20ème siècle, et enfin des Japonais convertis, selon les règles.
On est quand même stupéfait, quand on se trouve à la synagogue de Tokyo, aux côtés d'un Japonais priant en hébreu. Situé près du quartier Shibouya, le centre communautaire comprend aussi une bibliothèque, un restaurant et une piscine.
La jolie synagogue de Kobé est désaffectée faute de fidèles.
Etant donné le grand nombre de sectes au Japon, il n'est pas étonnant d'apprendre que quelques unes d'entre elles se réclament du Judaïsme. Deux sectes se distinguent par le nombre important d'adeptes, et surtout par l'aide effective apportée à l'état d'Israël.
Ces deux sectes avaient des souches chrétiennes avant la 2ème guerre mondiale et elles ont évolué progressivement vers le Judaïsme.
Il faut préciser ici que le sanctuaire shinto a une très vague ressemblance avec le Temple de Salomon (les trois zones progressives de sacré, l'étoile de David, ressemblance de certains mots ). Comme beaucoup de nations dans l'antiquité, le Japon a dû avoir des contacts sporadiques avec des exilés de la première dispersion (8ème siècle avant l'ère courante). Dans de nombreux sanctuaires shinto, on remarque des frises ornées de symboles souvent trilobés, parfois hexalobés, en forme d'étoile à six branches, avec un point au milieu rappelant la lettre "yod" (Ise). On peut aussi rapprocher la porte "torii" de Tora, ou son dessin géométrique avec les lettres hébraïques "shin" et "taw", dont l'association donne justement le mot "shinto". On peut aller un peu plus loin, en constatant que "shin/taw" se prononce shet en hébreu et ce mot signifie aussi bien le fondement que la ruine, parfaite dualité du serpent shet, qui se dissimule puis fonce sur sa victime, en un éclair foudroyant; par ailleurs son sérum bénéfique guérit cette morsure et d'autres maladies. Or Shet est aussi le typhon
Le Japonais de la rue est indifférent au Juif qu'il ne connaît pas. Certaines élites et la famille impériale se sont intéressés aux Juifs à des époques cruciales. Au début du 20ème siècle, on attribue la victoire du Japon sur les forces du Tsar, grâce à l'aide décisive apportée par le banquier Juif Schiff, relayé par Warburg. A la fin de la deuxième guerre mondiale, le banquier Warburg, neveu du premier, admirateur du Japon, a été le premier à aider le Japon à entrer sur les marchés financiers de la City.
Beaucoup de Japonais sont de ce fait persuadés que les juifs détiennent un certain pouvoir, grâce à leur connaissance des mécanismes de l'argent. Après la 2ème guerre mondiale, certains japonais se sont sentis coupables d'avoir été les alliés des nazis. L'un d'entre eux, rab Marvin Tokayer est devenu le premier rabbin de la communauté juive de Tokyo. De nombreux japonais ont été distingués comme Justes du Monde. Le philosémitisme a atteint son apogée après la guerre des six jours qui a provoqué un élan de sympathie, dû pour une grande partie à l'admiration des Japonais pour des gagnants "efficaces", ceux qui l'emportent en un éclair, comme dans le combat de sumo qui peut ne durer que quelques secondes!
Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue des faits précis, notamment la publication massive avant la guerre des "Protocoles des Sages de Sion" qui est un faux fabriqué par la police du Tsar, et la publication récente d'un pamphlet d'une violence inouïe contre le Judaïsme, l'accusant de vouloir dominer le monde, vendu à des millions d'exemplaires, inspiré par un groupe d'extrême droite, et sans doute, par des pays arabes. Selon une litanie devenue monotone dans les pays arabes, les groupes d'extrême droite japonais attribuent la défaite de leur pays à l'influence sioniste sur les Etats-Unis (?). Par ailleurs il y a collusion entre l'OLP et les réseaux terroristes japonais.
Enfin, il faut se remémorer le plan FUGU, pendant la guerre. Pour soustraire les Juifs réfugiés d'Europe aux "experts" nazis envoyés au Japon, les autorités ont imaginé un plan de sauvetage, qui était en fait un plan de colonisation de la Mandchourie occupée. En y expédiant les juifs réfugiés, elles pouvaient utiliser leurs compétences particulières dans différents domaines, à des fins hégémoniques. Le plan a heureusement échoué, car on ignore le but ultime de l'opération. Il faut savoir que le "fugu" est un poisson délicieux, contenant dans ses entrailles un poison mortel, et il faut être un expert pour séparer la chair du poison, et on ne réussit pas toujours
L'intérêt que porte le japonais au judaïsme est celui d'un chercheur devant une technologie exotique ou nouvelle, celui d'une curiosité et il cherche à savoir comment en tirer avantage. D'où la création d'associations diverses et d'"instituts d'études juives", notamment à Kitakyoushou, où aucun juif ne vit
A un moment donné de l'histoire du Japon, une sympathie est peut-être née à l'égard des Juifs, à travers la mémoire d'Anne Frank ou à travers la saga des soldats israéliens qui venaient de gagner une guerre éclair. A la mi-août 1990, les pensées vont ailleurs, car un mois auparavant, les trois journaux locaux en anglais publiaient plusieurs pages faisant le panégyrique de l'Irak et l'éloge dithyrambique de Saddam Hussein. Les premiers étrangers évacués du Koweit sont des japonais, acheminés par Irak Airways
La devise shinto est "survivre pour conquérir"!
Albert SOUED 10 août 1990
Nota en mars 2003 : les exigences d'ouverture américaines, notamment pour l'importation du riz-symbole et denrée stratégique, qui a été le prélude à la disparition des quotas et de la protection du marché intérieur, le tremblement de terre de Kobé et enfin la crise du high tech ont fini par avoir raison de la citadelle économique nipponne.
La Bourse de Tokyo s'est effondrée, les entreprises débauchent et les Japonais cherchent à s'adapter à de nouveaux modes vie Mais ce n'est que le temps de se mettre au diapason de l'Occident.
(1) ce détail est à rapprocher de la tradition de la qabalah qui veut que sur l'Arbre de Vie, l'éclair étincelant se réflète sur le miroir du Royaume (malkhout), siège de la shékhinah (présence divine) avant de retourner. Ce Retour de la lumière descendante est le reflet de l'action des hommes sur terre. Voir Arbre de Vie et attributs divins
Sources:
"The thirteenth gate" par Tudor
Parfitt - ed Weindenfeld and Nicolson 1987
Voyage au Japon de l'auteur en Juillet-août 1990
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